ARCHAEBACTÉRIES

ARCHAEBACTÉRIES
ARCHAEBACTÉRIES

Les êtres vivants sont classés en trois règnes, les animaux, les plantes et les protistes (micro-organismes). Animaux et plantes possèdent un corps pluricellulaire, formé d’organes et de tissus différenciés: les cellules qui les composent sont capables de fonctions d’ensemble très élaborées. Les protistes, êtres unicellulaires dépourvus de fonctions d’ensemble, comprennent les protistes supérieurs (eucaryotes) et les protistes inférieurs (procaryotes).

L’organisation cellulaire des eucaryotes est pluricompartimentale: un système de membranes cloisonne le protoplasme et forme des organites (noyaux, mitochondries, chloroplastes, appareil de Golgi) jouissant d’une certaine autonomie génétique et biochimique. L’organisation des procaryotes est monocompartimentale, le cytoplasme étant dépourvu d’organites. Les cellules eucaryotes sont plus grandes que les bactéries (respectivement 10 et 1 猪m) et disposent d’un patrimoine génétique de loin supérieur (respectivement 106 et 3.103 gènes environ).

Jusqu’en 1970, les procaryotes étaient classés en deux grands groupes, les vraies bactéries (eubactéries) et les algues bleu-vert (cyanobactéries). Carl R. Woese, professeur à l’université d’Illinois à Urbana, a été amené à repenser complètement cette classification après avoir découvert, parmi les bactéries, des organismes qui constituent, selon lui, un troisième grand groupe fondamental, celui des archaebactéries.

Cet article a pour objet de préciser le statut particulier des archaebactéries à la lumière des différentes études menées à un niveau moléculaire chez les protistes.

Écophysiologie archaebactérienne

La propriété de base qui différencie ce groupe d’organismes des autres protistes est leur habitat insolite. Les archaebactéries se rencontrent exclusivement dans des niches écologiques très spécifiques réalisant les conditions de vie terrestre originelle: absence d’oxygène, température élevée, fortes concentrations salines et très bas pH.

Les archaebactéries sont divisées en trois groupes principaux:

– Les méthanogènes , anaérobies strictes produisant du méthane à partir de substances organiques en décomposition (réduction du C2 et d’autres substrats), se rencontrent tant sur le fond des océans que dans le rumen et les intestins des animaux.

– Les halophiles extrêmes , anaérobies colonisant les eaux à haut contenu en sel (saumures), se servent du gradient osmotique pour réaliser le transport transmembranaire des métabolites [cf. MEMBRANES CELLULAIRES].

– Les thermoacidophiles , organismes colonisant les sources thermales, vivent dans des conditions extrêmes (température proche du point d’ébullition de l’eau et pH proche de 1). Contrairement aux halophiles, qui utilisent le gradient osmotique pour le transport de précurseurs, les thermoacidophiles profitent du gradient de pH transmembranaire.

Nous retrouvons chez les archaebactéries les trois types morphologiques qui caractérisent les différentes espèces bactériennes: formes allongées, sphériques et spirillaires. Parmi les thermophiles extrêmes on peut également rencontrer des organismes en forme de disques ou de filaments, et chez les halophiles extrêmes des cellules pléomorphes, c’est-à-dire à morphologie mal fixée.

L’hétérogénéité métabolique est également vaste, comme l’indique la présence d’organismes chimiosynthétiques et photosynthétiques, autotrophes et hétérotrophes, organotrophes et lithotrophes [cf. AUTOTROPHIE ET HÉTÉROTROPHIE].

Constituants chimiques archaebactériens

Une caractéristique fondamentale des archaebactéries est l’absence d’une vraie paroi comme celle qu’on retrouve chez les eubactéries où elle peut représenter jusqu’à la moitié du poids sec de la cellule. La paroi eubactérienne est formée de deux polymères juxtaposés, le peptidoglycane (un glycopeptide) et un lipopolysaccharide, synthétisés par des voies métaboliques uniques dans la nature. Chez les archaebactéries, les fonctions de la paroi (et notamment la résistance aux variations osmotiques du milieu) sont dévolues à la membrane, qui est plus épaisse et qui a une composition différente de la membrane eubactérienne [cf. BACTÉRIES]. Dans certains cas, la membrane des archaebactéries est flanquée d’une enveloppe constituée de sous-unités protéiques dont l’agencement rappelle celui des unités capsomériques des virus (cf. figure).

Chez les eubactéries et les eucaryotes, la majorité des lipides sont constitués de deux acides gras à chaîne linéaire (en prévalence 16C et 18C) réunis à une molécule de glycérol par une liaison ester. Ces acides gras sont remplacés chez les archaebactéries par des phytanols ramifiés et méthylés (essentiellement C2O et C4O): ces derniers sont liés au glycérol par des liaisons du type éther (diéthers phytanoliques).

Génétique

Les chromosomes présents dans le noyau des cellules eucaryotes sont formés de complexes d’ADN, d’histones et d’ARN. Par contre, le génome procaryote est représenté par une simple molécule d’ADN bicaténaire et circulaire. Scarcy et ses collaborateurs ont observé que l’ADN de certains thermophiles est lié à une protéine basique semblable aux histones des chromosomes eucaryotes.

La composition en bases de l’ADN est un paramètre d’importance taxonomique primordiale. Le pourcentage en guanine-plus-cytosine (% GC) détermine deux caractéristiques physiques de l’ADN: la densité de flottaison et la température de fusion. Les chromosomes des eucaryotes ont des valeurs en GC proches de 40 %, alors que ceux des eubactéries ont des valeurs variant entre 25 et 70 %. L’étendue des valeurs du % GC des génomes archaebactériens est aussi large que celle des eubactéries: 25-65 % pour les méthanogènes, 30-60 % pour les thermophiles et 50-70 % pour les halophiles.

La présence de gènes morcelés dans les génomes des eucaryotes est bien établie. Les séquences exprimées (exons) sont interrompues par des séquences d’intercalation silencieuses (introns): les messages issus de ces gènes sont clivés, les séquences correspondant aux introns sont excisées et les séquences issues de la transcription des exons sont reliées en vue de leur traduction. Ce phénomène, qui semble absent dans les eubactéries et les cyanobactéries, existe par contre dans les archaebactéries.

L’expression du message héréditaire

L’expression du génome suit chez tous les organismes vivants un schéma semblable: transcription de l’ADN en ARN, puis traduction de l’ARN en protéines. Toutefois, des variations importantes ont été mises en évidence chez les eucaryotes, les eubactéries et les archaebactéries.

Des différences majeures ont été repérées jusqu’à présent:

– Les ARNm eubactériens débutent par la séquence AUG codant pour la N-formylméthionine (fMet). L’aminoacyl-ARNt se liant à la sous-unité 30 S lors de l’initiation est donc porteur de fMet. Cette dernière est positionnée en tête de chaque protéine et déformylée par la suite. L’ARNt initiateur est vecteur de méthionine aussi bien chez les archaebactéries que chez les eucaryotes.

– Les ARNt contiennent des bases inusitées dont le rôle n’est pas bien établi. Les ARNt eubactériens contiennent de la thymine à la place de l’uracile, tandis que ceux d’origine archaebactérienne voient cette thymine remplacée par la pseudo-uridine.

– Les ARNr eubactériens de type 5 S et 23 S (grande sous-unité ribosomale 50 S) et ceux de type 16 S (petite sous-unité 30 S) ont des structures secondaires formées de boucles monocaténaires et de tiges bicaténaires, grâce à l’établissement de ponts hydrogène entre bases complémentaires AU et GC. L’analyse de la structure secondaire des ARNr de plusieurs organismes a révélé une parenté des eubactéries entre elles mais une distinction entre eubactéries, archaebactéries et eucaryotes.

– Les ribosomes archaebactériens ont un contenu en protéines plus élevé (52 % pour la petite sous-unité et 37 % pour la grande) que celui des particules eubactériennes (38 % et 30 % respectivement pour E. coli ). Chez les archaebactéries, il y a une nette prédominance des protéines acides, alors que les protéines basiques sont majoritaires chez les eubactéries. Le nombre total de protéines ribosomales est de 52 chez les eubactéries mais varie de 70 à 85 chez les eucaryotes. Chez la plupart des archaebactéries, ce nombre se situe généralement entre 54 et 58, bien que chez certaines espèces il puisse atteindre 60 à 65.

Susceptibilité aux inhibiteurs

La synthèse des polymères matriciels (ADN, ARN et protéines) est bloquée par une panoplie d’inhibiteurs (antibiotiques, antimétabolites, autres poisons) dont le spectre d’action montre une spécificité considérable. Certains inhibiteurs de la synthèse d’acides nucléiques, ADN et ARN, présentent un comportement singulier vis-à-vis des archaebactéries. Par exemple, l’ARN polymérase des eucaryotes est inhibée par l’ 見-amanitine, celle des procaryotes par la rifampicine, alors que les archaebactéries sont insensibles aux deux.

Un domaine particulièrement étudié est celui de la synthèse protéique et de l’interférence engendrée à la suite de la fixation de différentes substances aux sous-unités ribosomales. On peut classer les inhibiteurs de ce type en cinq groupes:

– les produits qui agissent sur les eucaryotes, les procaryotes et les archaebactéries (exemples: la sparsomycine, l’acide fusidique et la puromycine);

– les inhibiteurs qui sont spécifiques des ribosomes eucaryotes (la cycloheximide inhibant les ribosomes 80 S mais pas les 70 S);

– les antibiotiques actifs sur les eucaryotes et les archaebactéries, mais pas sur les eubactéries (anisomycine, narcidasine, trichodermine et autres);

– les inhibiteurs spécifiques des ribosomes procaryotes 70 S (thiostreptone et aminoglycosides);

– les antibiotiques agissant seulement sur les procaryotes et discriminant les eubactéries des archaebactéries. Le chloramphénicol ainsi que les antibiotiques du groupe MLS (macrolides, lincosamides et synergimycines) sont actifs seulement sur les vraies bactéries. Au sein de ce dernier groupe, les synergimycines constituent un cas particulier. Une caractéristique unique de ces antibiotiques est la présence de deux types de composés, A et B, inhibant de façon synergique la croissance des eubactéries. Les archaebactéries sont insensibles aux synergimycines A ou B séparées, mais elles sont sensibles au mélange des deux. Il est important de noter que l’action de ces divers inhibiteurs s’exerce exclusivement sur les méthanogènes. En effet, les thermoacidophiles, qui croissent dans des conditions d’environnement entraînant l’inactivation des antibiotiques, sont parfaitement insensibles à ces inhibiteurs.

Évolution

Il découle de ce qui précède que les archaebactéries possèdent des caractéristiques suffisamment différentes des procaryotes, des eubactéries et des cyanobactéries pour être considérées comme un règne distinct. L’hétérogénéité génétique archaebactérienne, qui égale celle des eubactéries, justifie la dichotomie taxonomique des procaryotes.

L’arbre évolutif en vigueur jusqu’aux années soixante-dix prévoyait une origine commune des procaryotes traditionnels, eubactéries et cyanobactéries. L’évolution de ceux-ci aurait donné naissance aux protistes eucaryotes (protozoaires, algues et moisissures) et finalement aux animaux et aux plantes. La théorie endosymbiotique des organites, préconisant l’origine de la cellule animale suite à l’acquisition d’une eubactérie (mitochondrie) et celle de la cellule végétale par captation d’une cyanobactérie (chloroplaste), était soutenue par la présence d’appareils génétiques de type bactérien dans les organites cytoplasmiques des eucaryotes.

Le nouvel arbre évolutif proposé par C. Woese (1977) voit l’origine des eubactéries, des archaebactéries et des eucaryotes à partir d’un ancêtre universel commun (le progénote). Les eucaryotes auraient évolué vers les cellules animales et végétales à la suite d’une symbiose avec les procaryotes.

Une modification de cet arbre évolutif a été proposée par Lake en 1983, grâce à des travaux de microscopie électronique permettant de comparer la morphologie des sous-unités ribosomales des différents groupes de micro-organismes. La présence d’appendices ou protubérances, qui est indicatrice de protéines ribosomales particulières, permet de distinguer les sulfobactéries des autres archaebactéries. Dès lors, Lake a proposé l’origine, à partir d’un ancêtre commun, des eubactéries (+ cyanobactéries) et des archaebactéries d’une part et, d’autre part, des eucaryotes et des eocytes (archaebactéries sulfodépendantes). Uniquement basée sur des différences morphologiques, cette proposition, qui a fait l’objet de nombreuses critiques, ne paraît toutefois pas modifier de façon fondamentale le nouvel arbre évolutif des êtres vivants.

En conclusion, les études sur l’origine des micro-organismes, seuls habitants de notre planète pendant la majeure partie de son existence (2,5.109 années), ont donc permis de traquer les étapes de la vie en déchiffrant le message héréditaire des plus petits êtres vivants.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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